Histoires inspirantes

OLFA

photo EMCM Olfa

« J’en avais marre de la vie de bureau. À 43 ans, j’ai troqué mes talons hauts pour des bottes de construction. J’avais l’impression d’avoir à éteindre ma personnalité. Je ne me suis jamais sentie autant à ma place que dans mon domaine actuel. »

Diplômée en briquetage-maçonnerie

Du clavier au mortier

 

Olfa travaille dans une des nombreuses tours à bureaux du centre-ville de Montréal. Chaque jour de la semaine, de 9h à 17h, vêtue d’un tailleur et chaussée de talons hauts, elle parle au téléphone, brasse des factures et remplit des tableaux Excel. L’horaire et les conditions de travail sont favorables pour sa vie de mère monoparentale, du moins, pour l’instant. Cependant, plus son garçon grandit, plus Olfa s’aperçoit que le milieu administratif n’est pas pour elle. Après 16 ans au même endroit, elle comprend qu’elle n’aime plus son travail. Tout bascule. Elle sombre dans une période difficile qui la force à réfléchir sur son avenir professionnel. C’est à 40 ans qu’Olfa décide de changer les choses.

 

Emmurée dans les préjugés

 

Vers 8 ans, Olfa observe par la fenêtre des maçons qui posent des briques sur un des murs extérieurs de la maison familiale en Tunisie. Le mélange du mortier, la pose des briques, l’élévation des murs :  c’est un coup de cœur instantané. Elle exprime alors à son père son désir d’exercer ce métier plus tard. La réponse est catégorique : « Non, ma fille ». À l’époque, dans ce pays, la maçonnerie n’est pas vraiment considérée comme un métier d’avenir prometteur. La désapprobation paternelle est double : seuls les hommes peuvent pratiquer cette occupation. « C’est un souvenir très vif de mon enfance », raconte Olfa.

 

 

Après cette discussion père-fille, le temps s’écoule tranquillement. Les années se suivent, et les chantiers de construction continuent d’attirer la jeune fille. La machinerie, les fondations, la structure du bâtiment. Elle demeure fascinée, encore et toujours.

 

Suivre la voie, mais pas la sienne

 

Maintenant rendue une jeune adulte, Olfa est invitée par ses parents à fréquenter l’université pour étudier dans un domaine sûr et payant. Son choix s’arrête sur l’administration. Elle termine un baccalauréat en Tunisie, mais quitte le pays tout de suite après. La culture, et surtout l’inégalité entre les hommes et les femmes dans son pays natal, ne lui plaisent pas. « C’est drôle, je n’ai pas eu à m’intégrer au Québec.  J’étais une étrangère en Tunisie. Ça a donc été un retour à la maison en venant ici », explique Olfa, qui a immigré dans la belle province en 2005. Au Québec, elle considère qu’elle peut maintenant s’épanouir en tant que femme. Elle entame d’ailleurs une maîtrise dans le domaine administratif à son arrivée.

Après ses études, elle commence sa carrière dans un bureau où elle ne se sent pas elle-même. On lui impose un code vestimentaire, voire un code de vie. Elle n’est pas à l’aise. Mère monoparentale d’un jeune garçon prénommé Nour, Olfa persiste dans cet emploi pour profiter d’un horaire stable et de conditions avantageuses. Pendant 16 ans, elle résiste et continue.

 

 

L’heure du changement

 

Le matin, avant d’aller au boulot, elle commence à faire des crises de panique. « J’avais atteint ma limite du bureau. J’avais vraiment étiré le temps. Je n’étais plus capable. Je me suis dit que je ne pouvais plus continuer comme ça, que je devais faire un move. » Elle atteint un point de non-retour. Il est l’heure de procéder à des changements.

Heureusement, Nour est rendu plus vieux, plus autonome. Olfa entreprend alors une démarche en orientation pour tracer son futur et déterminer ce qu’elle souhaite pour son avenir professionnel. Elle complète plusieurs tests et une dualité s’impose : elle a un côté intellectuel, mais elle aime aussi beaucoup le travail physique. « Mais j’ai 40 ans, est-ce que je serai capable de travailler physiquement tous les jours? », s’interroge Olfa. Elle décide donc de tester son corps et commence à travailler dans des shops, dans l’aménagement paysager, puis dans le pavage. Tout de suite, elle comprend qu’elle adore travailler à l’extérieur. Après quelques mois, elle s’étonne elle-même des tâches qu’elle arrive à faire tant sa forme physique est bonne.

Après son incursion dans le monde du travail, elle décide de retourner sur les bancs d’école pour obtenir les connaissances et les compétences requises par l’industrie. Pour faire son choix, elle réalise des stages d’un jour dans tous les milieux de la construction. Sa fascination pour la maçonnerie revient en force, comme dans ses souvenirs d’enfance. Elle décide de faire le saut et d’entreprendre un DEP en briquetage-maçonnerie.

Durant ses 8 mois de formation, elle développe intensivement sa nouvelle passion. Lors des travaux pratiques, elle enfile ses écouteurs et entre dans sa bulle. Elle devient tellement absorbée que ses collègues de classe et ses professeurs doivent venir l’avertir quand c’est l’heure de la pause ou que la journée est terminée. C’est un bon signe! « À mon avis, le DEP m’a permis d’acquérir une base de connaissances importante pour mon avenir sur les chantiers et m’a assuré que je faisais le bon choix de carrière », raconte Olfa.

 

La vie de chantier

 

Son DEP en poche, Olfa travaille maintenant sur les chantiers. Elle a troqué ses talons hauts et ses tailleurs d’autrefois pour des bottes à cap d’acier et des vêtements confortables. « Je suis enfin libre d’être moi-même. » Elle n’a plus besoin de se maquiller ou de se coiffer. Elle peut faire des blagues, parler fort et même crier du 6e étage s’il le faut! Plus besoin de rentrer dans le moule.

 

 

Elle fait maintenant partie des 25 femmes au Québec qui sont briqueteuses-maçonnes. En comparaison, ils sont 5 000 hommes qui pratiquent le métier. Ils peuvent être durs d’approche. À son arrivée sur un nouveau chantier, elle doit faire sa place, prouver qu’elle travaillera aussi fort qu’un homme et qu’elle n’a pas besoin de leur aide. Ces derniers ont souvent peur d’avoir à travailler plus fort si leur collègue est de sexe féminin. Alors, elle doit redoubler d’efforts pour les convaincre. Avec le temps, elle devient une des leurs.

Au travail, chaque journée est différente pour Olfa. En tant qu’apprentie, elle souhaite apprendre le plus possible. Elle demande donc à son patron de l’affecter à différentes tâches. Personne ne s’étonnera qu’elle excelle dans chacune d’entre elles.

 

Olfa adore les vues panoramiques que certains chantiers offrent.

Bien qu’elle se considère encore comme une intello, elle trouve maintenant son bonheur sur le chantier. Travailler avec ses mains lui permet de faire le vide dans sa tête. C’est une forme de méditation. « Quand je me suis dirigée vers la construction, j’ai constaté que faire du travail manuel, ça me permettait d’avoir un certain répit dans ma tête. » Quand elle est en congé, elle en profite pour lire à profusion et nourrir sa passion de romans philosophiques, historiques ou de développement personnel. Un bel équilibre!

 

Quand fierté rime avec liberté

 

Olfa est très fière du chemin parcouru et des décisions qu’elle a prises pour son avenir. « Le DEP est un moyen d’être libre », dit-elle. Son emploi est saisonnier, comme elle le souhaitait, et lui rapporte un bon salaire. Elle peut maintenant profiter de ses longs congés pour voyager et découvrir le monde comme elle aime tant le faire.

Son fils Nour, aujourd’hui âgé de 14 ans, est aussi fier d’elle. C’est avec grand plaisir qu’il raconte à ses amis que sa mère travaille sur des chantiers de construction et qu’elle construit des maisons.

« Ce n’est pas un cheminement facile ce que j’ai fait, mais c’est important d’aller vers soi. »

Bien qu’il lui reste encore à apprendre sur son nouveau métier, Olfa se permet de rêver à son avenir professionnel. Dans quelques années, elle s’imagine à la tête d’une compagnie de construction 100% féminine. « Je n’ai plus peur de rien. J’ai éliminé mes peurs une à une. La dernière était celle concernant le regard des autres. Et c’est terminé maintenant » explique Olfa.