Histoires inspirantes

EMMANUEL

photo EMMM-Emmanuel témoignage

« La COVID a mis frein à une carrière de 18 ans en restauration. J’étais déjà en questionnement sur mon avenir : l’ébénisterie est devenue une évidence. Chaque matin, j’ai un immense plaisir à me lever pour travailler le bois! »

Montrer de quel bois on se chauffe

 

Emmanuel a eu une longue carrière en service qui l’a beaucoup stimulé. Diplômé en hôtellerie, il s’est spécialisé dans la gestion de bistros en France, puis au Québec. Aussi payants peuvent-ils être, les emplois en restauration sont drainants pour certains. Le train de vie irrégulier commençait à miner sa vie personnelle et sociale. Emmanuel, qui avoue être un bourreau de travail, s’en est toutefois longtemps accommodé.

Puis un jour, la pandémie a frappé. Elle le contraint, comme une importante partie de la population, à arrêter de travailler sur-le-champ. Soudainement placé devant une montagne de temps libre, Emmanuel remet en question ses choix professionnels. Et si une autre voie l’attendait ?

 

Mettre la table

 

Emmanuel est originaire du Jura, un département français dont les frontières touchent à celles de la Suisse. Là-bas, après avoir fait un DEP en hôtellerie, il se trouve rapidement un emploi en tant que directeur adjoint d’une brasserie. « J’avais 19 ans, et déjà, j’étais très haut dans la hiérarchie dans mon domaine », raconte-t-il. « J’avais l’impression de ne pas avoir assez vécu ni voyagé. » Emmanuel décide donc de partir vers Lyon pour changer de décor et gagner en expérience. Trois ans plus tard, l’histoire se répète. Emmanuel se sent de moins en moins bien en France. « J’avais besoin de voir autre chose. Pourquoi pas un autre pays ? Un autre continent ? », s’est-il demandé.

En 2010, il boucle l’essentiel de ses affaires dans deux valises et laisse tout le reste derrière. « Je savais que je ne reviendrais pas en France », lance-t-il. Après un vol de huit heures, il pose finalement ses bagages à Montréal.

 

Un temps d’arrêt

 

Aussitôt arrivé dans la métropole, la vie lui sourit. Il se trouve un boulot dans un restaurant et se fait rapidement de nouveaux amis. Pendant quelques années, il enchaîne les emplois dans le domaine et travaille très fort. Son ardeur sera payante, puisqu’il parvient à acheter un duplex en 2016, qu’il s’amusera à transformer en triplex. « La construction est un secteur qui m’intéresse depuis longtemps. Mon projet de rénovation m’a permis d’en apprendre plus sur le travail manuel », explique-t-il.

Au début de l’année 2020, Emmanuel est approché pour participer à l’ouverture d’un nouveau restaurant. L’aventure s’annonce excitante. Sauf qu’elle n’aura jamais lieu, puisque la COVID-19 frappe le monde entier de plein fouet à la mi-mars. Emmanuel, tout comme ses compères de la restauration, se retrouve alors en arrêt forcé.

Les journées interminables de confinement amènent Emmanuel à se poser des questions sur son parcours et ses ambitions. Il réalise que son horaire atypique complique sa vie familiale et nuit à ses relations amicales. « Je me suis rendu compte que j’étais tanné de la restauration », résume-t-il en se remémorant ses nombreux moments de réflexion. En plein milieu de ces remises en question, Emmanuel apprend que le gouvernement offre temporairement de l’aide financière aux travailleurs pour se réorienter dans des métiers en pénurie pendant cette période particulière. Cette information ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.

 

Faire feu de tout bois

 

L’expérience de rénovation d’Emmanuel avec son triplex lui a permis d’acquérir de nombreuses nouvelles connaissances avec les matériaux. Et s’il poursuivait dans cette voie ? Après quelques recherches, il découvre le programme d’ébénisterie à l’École des métiers du meuble de Montréal. « J’ai toujours aimé le bois ! D’ailleurs, dans ma région natale, il y a beaucoup de forêts », raconte Emmanuel. Sa nature impulsive le pousse à s’inscrire sur-le-champ. Malheureusement pour lui, il ne reste plus de place dans la prochaine cohorte. Qu’à cela ne tienne ! Il envoie des courriels passionnés pour démontrer son intérêt et vanter sa rigueur. Moins de deux semaines avant le début des cours, un petit miracle se produit : une place se libère.

Emmanuel raconte fébrilement sa première journée de classe : « Le premier jour était très angoissant. Ça reste une rentrée après tout, hein ? Il y avait plus de 15 ans que je n’avais pas fréquenté l’école… En plus, c’était un nouveau système scolaire pour moi ! » Il faut aussi comprendre qu’en France, les réorientations de carrière sont rares. « La culture d’où je viens n’encourage pas les changements de vocation. C’était donc très stressant pour moi de faire ce move-là. Je ne connaissais personne qui l’avait vraiment fait auparavant. » Pour ajouter à ses angoisses, Emmanuel s’imagine déjà en classe au milieu d’adolescents. « Je me voyais être le papi entouré de petits jeunes. » Heureusement, ses chimères se résorbent dès sa première journée. Il pousse un soupir de soulagement en apercevant ses camarades de classe qui provenaient de différents horizons… et de différentes générations !

 

Apprendre à apprendre

 

Durant les 16 mois de la formation en ébénisterie, les élèves comme Emmanuel apprennent à manier tous les outils nécessaires à leur travail, à reconnaître les essences de bois et leurs particularités, et à accomplir des travaux pratiques pour se familiariser avec les différents types de mobilier. « Je suis allé chercher des bases solides avec le DEP. Par exemple, j’avais déjà construit une tête de lit en bois et j’en étais très fier à l’époque. Mais aujourd’hui, avec les connaissances supplémentaires que j’ai, j’en ai honte ! », raconte-t-il en riant. « Le DEP m’a permis de comprendre mes erreurs du passé, d’améliorer ma technique et de gagner du temps dans la réalisation de mes projets », ajoute-t-il. À travers ses différents cours, Emmanuel a développé une fascination pour la polyvalence du bois. « On peut accomplir des choses hallucinantes avec le bois. Il n’y a presque pas de limites! Ça se colle, ça se colore, ça s’assemble. Suffit d’essayer. Même si ça casse, tu recolles ! »

 

Toucher du bois

 

« À l’école, on nous apprend d’entrée de jeu qu’être ébéniste ne rapporte pas beaucoup d’argent. C’est plutôt un métier de passion. C’est parfait pour moi, parce que je ne veux pas avoir l’impression de travailler. Je souhaite simplement avoir du plaisir, créer des choses qui me rendent fier, vivre ma vie et être heureux », avoue Emmanuel.

Le jeune ébéniste s’active à la tâche et collectionne le bonheur à travers plusieurs projets. Il a déjà quelques clients pour lesquels il a réalisé des meubles, et même des armoires de cuisine. Un projet imprévu pourrait toutefois s’ajouter à sa liste : « Je suis allé dans la région de Charlevoix cet été et j’ai eu un véritable coup de cœur pour la région. Devant l’auberge où j’étais, une maison magnifique s’affichait en vente », raconte-t-il en souriant. Ladite maison possède plusieurs chambres, un grand garage et une grange. « En la voyant, je me suis tout de suite imaginé y tenir un gîte, auquel s’ajouteraient mon atelier et une boutique pour vendre mes créations. » Il adorerait pouvoir combiner ses passions pour la nourriture et l’ébénisterie en un seul et même lieu. À l’heure actuelle, impossible de savoir si le rêve d’Emmanuel se réalisera, mais il avoue candidement qu’il retourna visiter cette maison dans laquelle se projette un avenir prometteur et harmonieux.

 

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